Témoignages de sourds-aveugles

 

(Reproduction du texte paru dans le numéro spécial Sourds

 Aveugles : "VIVRE ENSEMBLE" - DEUX LANGUES POUR UNE EDUCATION

 - POITIERS - Juillet 1983).

 

"Je suis née en 1954 en ALGÉRIE.

 

.... La santé en ALGÉRIE est précaire ; il y a eu des problèmes à ma naissance. C'est un accident médical qui a fait que je suis malvoyante et malentendante. J'avais le cordon ombilical autour du cou et j'étais toute bleue.

 

A quatre ans, le problème s'est aggravé à la suite d'otites. Ma mère avait peur. Je suis venue seule en France à cinq ans pour aller à l'école d'ALBI. (mes parents sont venus en France quelques années plus tard) . C'était une école oraliste pour sourds. Je suis restée longtemps triste, me sentant prisonnière. Oral, toujours oral.

 

Je travaillais la couture, c'était difficile, je voyais mal. On m'a mise à la cuisine. A douze ans, je me suis fait opérer d'un oeil ; je voyais mieux. Mais, à l'école, je voyais mal au tableau, j'ai raté mes examens. A dix-neuf ans, je suis arrivée à Larnay, j'ai appris le braille.

 

A vingt-trois ans, je suis allée à La Varenne. Depuis l'âge de vingt-quatre ans, je vis seule en appartement. Avant, à LARNAY, j'habitais chez Elisabeth et Benjamin YOU.

 

J'apprends actuellement le cannage et le rempaillage des chaises, et, je participe au journal "Braille-Info". Je voudrais étudier davantage et apprendre le braille abrégé. J'aime un peu le travail sur les chaises. Je ne sais pas pour l'avenir.

 

Comment étudier ? Ça fait longtemps que je travaille, j'ai vingt-neuf ans. Je ne sais pas.

 

 

François THEBAUT

 

(Reproduction du texte paru dans le numéro spécial Sourds-Aveugles "VIVRE ENSEMBLE" - DEUX LANGUES POUR UNE EDUCATION. POITIERS - Juillet 1983).

 

On m'a demandé mon témoignage, le voilà.

 

Je m'appelle Jean-François THEBAUT. Je suis né le 7 février 1944 à Montluçon dans l’Allier. Je suis sourd de naissance et devenu aveugle à l'âge de neuf ans. J'ai été opéré des yeux pour une maladie de glaucome à l'âge de cinq ans à PARIS, au Val-de-Grace.

 

J'ai un frère qui voit et qui entend.

 

J'étais entré à l'école pour sourds à quatre, à Strasbourg. Je ne voyais pas assez pour lire sur les lèvres. Je suis allé à Poitiers à six ans avec le frère Thomas. Il m'a appris à lire en noir pendant que je voyais encore en même temps que le braille. Il m'a appris la dactylologie.

 

Avec les sourds voyants, j'ai appris le langage gestuel en bavardant, car j'aime bavarder avec tout le monde. Mes parents et mon frère ont appris la dactylologie en même temps que moi. Et maintenant, ma belle soeur et mes nièces me parlent avec les doigts facilement pendant les vacances. Comme ça, je sais toutes les nouvelles.

 

J'ai appris à canner très jeune, à neuf ans, et maintenant je travaille en Dordogne. Il y a un Foyer où j'ai quatre camarades sourds-aveugles. Les frères bien connus à Poitiers sont avec nous.

 

Mes camarades et moi, nous travaillons à la chaiserie canne tous les autres ouvriers.

 

Quand j'étais devenu aveugle, j'avais peur, j'étais perdu, je cherchais à tâtons, mais je ne me plaignais pas. J'ai continué à jouer comme les enfants, je faisais du patin à roulettes. En grandissant, j'ai compris que je ne pouvais pas aller en ville, que je ne pouvais pas aller au lycée avec mon frère. Je ne pourrais pas choisir le même métier que mon père, ma mère ou mon frère.

 

Parfois, mes camarades voyants me faisaient de la peine, ils partaient jouer sans moi et me disaient : «  Il faudrait que tes yeux guérissent ».

 

Il y a cinq ans, j'ai réussi à prononcer mes voeux religieux et j'en suis heureux.

 

Je suis appareillé avec des contours depuis deux ans, je ne comprends pas la parole, mais j'entends les bruits, la voix des gens, la musique très jolie.

 

Je suis content d'être avec vous.

 

Jean-Paul ARTUS

 

(transcription du texte paru dans le N° spécial "VIVRE ENSEMBLE" - DEUX LANGUES POUR UNE EDUCATION- POITIERS- Juillet 1983).

 

Je suis né en 1957 à CAHORS. A la naissance, il y a eu des problèmes. Ma mère a eu une césarienne, mais elle avait poussé longtemps. Je suis né sourd profond, mais je voyais bien. A trois ans, j'avais 6/10 et 8/10 de vue. Je suis allé à l'école pour sourds, à A.... Il fallait parler et écrire; si on communiquait en gestes, on nous tapait sur les nains. C'était interdit. On priait tous les matins. Quand je courais, je tombais souvent. Je suis allé à l'hôpital de Toulouse pour me faire opérer des hanches, deux fois.

 

A seize ans, j'ai changé d'école. Je suis allé à TOULOUSE avec des handicapés physiques, à cause de mes problèmes de hanches, mais eux, entendaient. J'ai appris à travailler le jardin. Je faisais de la peinture et du sport. J'ai été reçu à l'examen ; j'ai le C.A.P. Ensuite, j'ai travaillé à Toulouse en horticulture pendant un an, puis ma vue a baissée. J'ai eu une maladie évolutive aux yeux. J'ai dû arrêter de travailler.

 

Je me suis retrouvé en hôpital psychiatrique, mais aucune communication possible. Alors, avec ma mère, on a trouvé La Varenne. La dactylologie et les gestes sont différents à Poitiers et à Toulouse. J'ai appris. J'y suis depuis deux ans.

 

J'apprends le cannage des chaises et le rempaillage. Je participe au journal "BRAILLE INFO". Je communique avec Marie-Christine, c'est tout ; je ne connais pas d'autres sourds.

 

Je faisais des films mais quand je deviendrai aveugle, plus possible. Alors, je vais apprendre la sculpture. Je veux aussi progresser dans le braille, et apprendre le braille abrégé. Je fais des films amusants sur la politique, j'aime bien ça. Je fais aussi du sport : piscine, patinoire, course.

 

 

 

Aziz BENNANI

 

LE TOUCHER, L'ODORAT ET LE GOUT

CHEZ LES SOURDS-AVEUGLES

(Bulletin de l’ANPSA N°15. Décembre 1983.)

 

Une personne voyante et entendante, étudiante en Urbanisme, préparant une thèse sur les structures et aménagements architecturaux et techniques susceptibles de permettre à de jeunes sourds-aveugles de poursuivre des études dans l'enseignement supérieur, m'a posé une question sur les rôles respectifs joués par le Toucher, l'Odorat et le Goût dans le développement du sourd-aveugle.

 

Ayant trouvé cette question très intéressante, j'ai tenu à reproduire pour vous dans le Bulletin de Liaison, la réponse que je lui ai fournie. Je vous invite également, si vous le voulez bien, à faire

 

part de vos expériences personnelles et de vos critiques à ce sujet.

 

1. Le Toucher :

 

J'ai d'abord tenu à préciser à cette personne qu'il est extrêmement difficile, voire impossible, de décrire ou d'expliquer les diverses sensations ou impressions que peut ressentir une personne privée de la vue et de l'ouïe dans un milieu et à un moment donnés, car pour bien comprendre concrètement, il faut pour ainsi dire "être dans la peau" du sourd-aveugle ! Néanmoins, il est possible d'avancer certaines affirmations qui peuvent aider les voyants à mieux comprendre les comportements des sourds-aveugles. En effet, pour beaucoup de gens non prévenus, ces comportements paraissent bizarres !

 

Chez une personne privée de la vue et de l'ouïe, les autres sens se trouvent normalement plus développés que chez une personne ayant tous ses sens. Le Toucher, entre autre, joue chez la personne sourde-aveugle un rôle primordial, déterminant. En effet, dans certains cas, il lui permet de "voir "certaines choses en les touchant ! Les rôles que joue le Toucher sont multiples et tous sont très importants, car ils mettent le sourd-aveugle en contact avec le monde extérieur, c'est la porte par où pénètre 1es sensations ressenties par le handicapé. Ce n'est pas seulement le toucher éprouvé avec les doigts, la main mais avec tout le corps. C'est par tout le corps que le sourd-aveugle reçoit la perception du milieu environnant et de ce fait, il peut se situer. Le sourd-aveugle a sans cesse besoin de toucher les choses pour les reconnaître ou pour les situer dans l'espace. En touchant, il se rassure lui-même, il se sent moins "coupé" du monde extérieur, un peu moins solitaire dans le vide qui l'entoure. Le Toucher lui permet en outre, de communiquer ses sentiments, son affection à autrui, puisqu'il ne peut le faire par le seul regard. Le Toucher peut lui servir aussi à reconnaître une personne de son entourage, par exemple en touchant la bague ou le bracelet d'une personne donnée.

 

Enfin et surtout, il ne faut pas oublier cette fonction primordiale, vitale même, du Toucher : la communication avec autrui par l'intermédiaire du langage gestuel, de la dactylologie et de l'écriture braille qui permet en outre au sourd-aveugle, l'accès à la culture et aux études.

 

2. L'Odorat :

 

L'Odorat joue aussi un rôle non négligeable chez le sourd-aveugle. Tout comme le Toucher, il peut d'une certaine façon lui permettre de "voir", de se repérer dans un lieu déterminé. Grâce à son Odorat, il peut savoir, dans la rue, qu'il se trouve à côté d'une boulangerie, d'une épicerie, et même de les situer approximativement. Dans un local, il peut situer les toilettes ou la cuisine. Il peut éviter de se cogner à quelqu'un dans un couloir en "sentant" venir chacun, à son parfum par exemple !

 

Quand un sourd-aveugle marche, en faisant très attention, il peut même "sentir" un mur en face de lui, juste avant de s'y cogner. Mais là, on dirait qu'un sixième sens entre en jeu, c'est très complexe. Ce qui est certain c est que l'Odorat n'est pas seul en cause. On sent de tout notre être en quelque sorte. Enfin, par l'odorat, le sourd-aveugle reconnaît les fleurs, les aliments et, comme le Toucher, l'Odorat lui est un moyen d'identifier les per sonnes qui lui sont connues, à leur parfum particulier si elles en ont un, ou même à leur odeur naturelle.

 

3.Le Goût ;

 

II n'y a rien de particulier à ce sujet. Comme tout le monde, les sourds-aveugles ont un goût plus ou moins développé, plus ou moins sensible à certains aliments. Chacun a un goût personnel qui lui est propre, et chacun sait apprécier les mets qu'il aime.

 

4. Rôles respectifs de ces trois sens dans le développement du Sourd-aveugle :

 

Il existe différentes catégories de sourds-aveugles :

 

- Ceux qui sont sourds et aveugles de naissance,

 

- Ceux qui le sont devenus plus tard à la suite d'un accident ou d'une maladie

 

- Ceux qui sont devenus sourds et un peu plus tard aveugles ou vice-versa.

 

De même les degrés de perte visuelle ou auditive | varient : de ceux qui sont totalement privés de la vue et de l'ouie à ceux qui peuvent percevoir des vibrations et ont un certain résidu visuel. Suivant les catégories, l'importance jouée par chacun de ces trois sens cités, varie . Par exemple, le goût peut avoir un rôle très important chez un enfant né sourd-aveugle : on peut utiliser ce sens pour lui faire reconnaître certains mets, et donc l'enfant commence à comprendre qu'il existe un rapport, une liaison entre la langue et la chose mangée. Il s'aperçoit alors qu'il existe différentes sortes d'aliments ayant chacun une saveur propre et il apprend à en faire la distinction. Cela n'est qu'un exemple de la part que peuvent prendre chacun de ces trois sens dans le développement du sourd-aveugle. Toutefois, le sens du Toucher reste l'élément fondamental, la porte ouverte sur le monde extérieur.

 

Ces trois sens conjugués ensemble, donnent au sourd-aveugle la possibilité d'acquérir une autonomie appréciable. Il faut donc essayer de l'aider à les développer, afin qu'il puisse les utiliser au maximum. De cette façon, comme nous l'avons vu, le Toucher et l'Odorat peuvent lui servir de "remplaçants" à ses yeux et ses oreilles ...

 

Qu'en pensez-vous ? Etes-vous de mon avis, vous sourds-aveugles ? Sachez, en tout cas, que tout ce que j'ai avancé ici, découle de mon expérience personnelle, car je vis dans un milieu de voyants et d'entendants. Je voudrais qu'ils sachent cela et non qu'ils restent bouche bée d'admiration ou d'incrédulité devant ce que nous pouvons faire. Dernièrement, une personne s'extasiait parce que je pouvais faire la distinction entre une pomme et une poire ! Et elle n'en revenait pas de me voir reconnaître, par un simple toucher, les pièces de monnaie et les billets de banque ! Ceci n'est qu'un petit incident parmi bien d'autres. Tout cela traduit bien le manque d'information du grand public non seulement en ce qui concerne les sourds-aveugles, mais aussi les aveugles ....

 

Voici, à ce propos , un dernier fait que j'ai vécu. Un jour, voyageant seul par le train avec ma machine Tellatouche, j'ai entrepris une discussion avec la personne assise à côté de moi. Il s'est révélé qu'elle ne connaissait par l'existence de l'écriture Braille, et m’a demandé si cette machine me permettait d'entendre avec mes oreilles ! Bien entendu, je lui ai expliqué ce qu'il en était.

 

 

 

FORMATION PROFESSIONNELLE

 ET INTEGRATION DANS LE MONDE DU TRAVAIL

 

(par Annie VAN ESPEN à

 l'U.N.E.S.C.O. le 12 Décembre 1990)

 

 

 Je suis née en 1959 dans le Jura. Je suis atteinte du syndrome de Usher. Aucune anomalie n'a été décelée lors de ma naissance qui s'est déroulée sans problèmes.

 

Jusqu'à l'âge de 18 mois, rien d'anormal ne s'est produit et j'étais une petite fille très gaie. A partir de cet âge, mon caractère et mon comportement ont subi une transformation importante, et à partir du moment où ce changement se produisit, mon langage oral ne s'est pas développé normalement, tout cela attira l'attention de mes parents. Ceux-ci en firent part plusieurs fois à leur médecin, sans résultat car il ne trouvait rien d'anormal.

 

Ce n'est que vers 4 ans et demi que mes parents, après un diagnostic à moitié réel, se décidèrent à m'emmener à Béziers afin d'obtenir un véritable diagnostic. Entre temps l'institutrice de mon école maternelle confia à mes parents ses doutes au sujet de ma vue. Un oculiste confirma effectivement que j'avais une mauvaise vue.

 

A 6 ans, Je suis entrée dans une école pour demi sourds de Chambéry. N'y étant pas heureuse, mes parents me reprirent et nous nous sommes installés à Paris afin de faciliter ma scolarisation dans une école spécialisée.

 

Jusqu'en 3e j'entrais dans 2 écoles normales où étaient insérées des classes pour malentendants, durant les 4 dernières années, j’eus de grosses difficultés à suivre, du fait de ma mauvaise vue. Ensuite, pour apprendre la comptabilité, j'entrais dans un collège d'enseignement technique pour voyants où étaient également insérées des classes pour amblyopes. Fort heureusement, nous n'étions que 3 dans ma classe, ce qui me facilita beaucoup les choses. Je pus obtenir 2 diplômes professionnels qui me permirent d'entrer à la Caisse d’allocations familiales où travaillait ma mère. Les 6 premiers mois. je travaillais dans 2 services à titre d'essai puis j'entrais au service des photocopies. Durant les 4 premières années dans ce service, je n'eus aucun problème.

 

Mais en 1981. ma vue commença à baisser : l'année d'après je n'étais plus en mesure de lire et la modernisation des machines me priva de travail.

 

Pendant près de 3 ans je dus rester dans le bureau de mon chef sans pouvoir travailler.

 

En 1985, la psychologue du personnel découvrit que le standard effectuait des transcriptions braille et a pensé à moi. Fort heureusement, j'avais suivi des cours de braille à l'Association Valentin Haüy, pris en charge par mon employeur. Je suis donc entrée au standard et petit à petit, on m'a donné du travail de copie.

 

Depuis près de 2 ans, je travaille sur un microordinateur braille où j'effectue des travaux divers à stocker ou à imprimer en noir pour les voyants standardistes.

 

Entre temps, mes parents partirent à la retraite dans le jura. J'ai donc pris un logement, c'était mon souhait depuis plusieurs années. Pendant ces quelques années de solitude, je me débrouillais assez bien malgré quelques problèmes.

 

En 1987, je me suis mariée avec Maxime. Mon mari est devenu sourd complet et malvoyant à la suite d'un grave accident de la route survenu à l'âge de 18 ans alors qu'il venait d'obtenir son CAP de cuisine en restauration. Deux ans après son accident, il est entré au foyer pour sourds-aveugles de La Varenne près de Poitiers où il a appris les différents moyens de communication. Il y est resté 4 ans avant de venir à Paris pour entrer dans un CAT.

 

Actuellement, il est sans emploi mais nous luttons pour qu'il trouve un travail. A l'heure actuelle, il fait un stage de cuisine dans un centre de formation en vue d'un placement.

 

Nous communiquons soit en dactylologie soit en langage parlé pour moi qui entend encore un peu. J'ai une particularité, c'est celle de placer ma main sous le menton des personnes afin de saisir à la fois les sons et les vibrations. Nous éprouvons des difficultés à dialoguer en gestes, cela nous créé des malentendus. Nous avons une grande autonomie sans avoir pour autant suivi des cours de locomotion. Cependant, j'éprouve de grandes difficultés à me guider dans les rues inconnues ou compliquées. Je me fais parfois accompagner par mon mari ou une autre personne, parfois je prends un taxi.

 

Au sujet de taxis, il nous est impossible de les appeler nous-mêmes, ce qui est un gros problème mais il est sur le point d'être résolu grâce à un abonnement collectif et l'utilisation du minitel. Nous possédons un minitel-dialogue connecté à un ^^micro-ordinateur braille. Ce qui nous permet à la fois d'avoir des renseignements en noir et en braille. Ces appareils nous ont fait acquérir une autonomie plus grande vis à vis des autres.

 

Pour notre communication avec l'extérieur, il nous faut toujours expliquer aux gens nos handicaps et comment nous répondre sauf lorsque nous sommes accompagnés, le problème est différent. Souvent les personnes ignorent ce qu'est un sourd, ou elles ressentent de la gène ou de la crainte. Cela réussit plus ou moins bien selon les personnes.

 

Un problème qui fait encore obstacle à une meilleure insertion : celui de la perception des sonneries de téléphone et d'entrée. Nous disposons actuellement de flashes lumineux pour le téléphone et la porte d'entrée, mais il nous faut être à proximité pour les capter. Quant à|moi qui entend encore un peu, il me faut également me trouver près des sonneries. Le service livraison est un des plus gros problèmes du fait de l'insuffisance pour percevoir l'arrivée des livreurs.

 

II n'y a pas d'appareils vraiment efficaces dans ce domaine. Les progrès technologiques sont une étape importante pour l'insertion des handicapés dans la vie professionnelle et quotidienne.

 

 

 

René Balestrini

 

(Témoignage paru dans le bulletin de l’Anpsa de juin 1991.)

 

Né en Algérie en mars 1934. Mes parents étaient corses par mon père et française par ma mère.

 

Mon père était directeur de la tabacoop et ma mère secrétaire à la mairie.

 

Jusqu'au début de la seconde guerre, j’ai vécu au village natal. Puis nous sommes allés nous installer au camp du Maréchal sur la route Alger – Tizi-Ouzou. Là j'ai commencé à aller à l’école maternelle.

 

Puis, on est venu proposer à mon père la direction de la société Bastos de Bordi Ménail.

 

Et alors, le suis allé à l'école primaire. Tout a changé car le n'étais plus traité comme auparavant. J'étais souvent battu par mon nouveau maître, si bien que mes parents sont venus protester.

 

J'ai vécu normalement jusqu'en 1945.

 

Au mois de novembre de cette année, il s'est produit une épidémie de parathyphoide. Mon frère cadet en a été victime. Et moi, bien que j’ai été vacciné peu de temps avant, je l'ai attrapée à mon tour.

 

Mais alors que mon frère est resté un mois malade, moi, je suis resté trois mois au lit avec de la fièvre, des vomissements. J’ai commencé à perdre d'abord l'audition, puis ma vue s'est brouillée.

 

La surdité est la première à avoir été signalée et diagnostiquée, la vue l'a été ensuite.

 

J'étais encore malade quand je me suis plaint à mon médecin de surdité. Il m'a examiné et a continué à me soigner. C'est ensuite quand j'ai été guéri qu'on m'a emmené à Alger faire des examens de la vue. On m'a soigné pour cela et celle-ci s'est un peu améliorée.

 

Mais le suis resté amblyope et sourd profond, et aussi paraplégique partiel.

 

Je vis entièrement retiré de la vie normale, n'ayant plus d'amis personnels, alors qu'avant, j’en avais plusieurs avec lesquels j'entretenais des relations régulières.

 

Comme je ne pouvais plus en avoir comme auparavant, je me suis mis à lire régulièrement les journaux et j'en ai pris l'habitude que je |conserve toujours.

 

Ce n'est que depuis 1989 que le vis à La Peyrouse et que j'ai quelques amis.

 

Pour ceux que j'avais avant mon triple handicap, je n'en ai plus qu'un seul avec lequel je peux encore entretenir des relations épistolaires.

 

Des autres, je n'ai plus de nouvelles depuis 1950. A cette date, en effet, nous avons dû quitter le village où je suis devenu infirme, et je suis devenu taciturne me sentant toujours mal à l'aise avec les autres et n'osant plus m'exprimer, surtout sur tout ce que je pense.

 

Mes parents avaient l'habitude de parler avec les autres sans jamais me faire participer aux conversations, ce qui a fait que je me suis complètement replié sur moi-même.

 

Ma famille n'a jamais fait le rôle d'interprète. Je n'ai donc reçu aucune éducation spécialisée depuis le début de mon triple handicap.

 

Je ne connais que le braille. La dactylologie et le langage des signes me sont inconnus. Je ne communique que par écrit. C'est pourquoi je ne me sens bien que dans la correspondance.

 

J'espère maintenant que vous pouvez vous faire une idée de ma vie.

 

Je suis venu en stage d'apprentissage du braille en 1988 à La Peyrouse et depuis l'année suivante, j'y vis avec 6 autres pensionnaires, dont François, que j'avais rencontré pour la première fois à la Session-Rencontre de Seignosse Le Penon.

 

Voici la fin de mon témoignage.

 

 

Jean-Marie Anselin

 

LES ANNÉES 1963-1965

 (Paru dans le Bulletin de l’Anpsa n° 66 de septembre 1996)

 

17 septembre 1963. Il est six heures du matin. Aujourd'hui il va sûrement faire beau car depuis une semaine il fait beau.

 

Ce matin du 17 septembre, je prends le chemin de l'école et pour la première fois je vais vivre avec des étrangers. Hier, je suis allé dire au revoir à toutes les personnes que je connaissais à B... J'ai 12 ans et demi et je n'ai jamais lu ni écrit...

 

Ce matin du 17 septembre, ma mère et l'une de mes soeurs vont me conduire à l'Institut pour aveugles de ..... Nous prendrons le train express.... . A 6 h 40 je suis dans le train, je ne pense à rien... A 14 h,-nous arrivons à Paris, Gare du Nord. Il fait très chaud, le soleil brille. Nous prenons un taxi pour rejoindre l'Institut ... A 14 h 20 nous arrivons à ... : "Voilà un nouveau !" sont les premiers mots que j'entends.

 

Je suis conduit à la lingerie pour me changer et je me retrouve dans une grande cour goudronnée. Après avoir embrassé ma mère et ma soeur je suis confié à des pensionnaires : on se promène ... Certains sont jaloux et veulent me battre, d'autres me défendent, mais tout se passe bien. je crois que si on m'avait battu ce jour là je me serais laissé faire car j'étais trop timide pour me défendre.

 

Des questions me sont posées : "sais-tu t'habiller ?", "sais-tu te laver ?", "sais-tu faire ton lit ?", pour conclure : "II n'est pas dégourdi !"....

 

J'ai eu beaucoup de mal pour me guider, mais les copains m'ont beaucoup aidé.

 

La Directrice me conduisit dans une classe en attendant de me placer définitivement.

 

L'instituteur s'appelle Monsieur S. J'ai les larmes aux yeux, je pense à ma mère et à ma soeur qui sont sur le chemin du retour. Je pense aussi à mon vélo, au café que j'ai l'habitude de boire avec maman ... Je pleure. La séparation ? Peut-être aussi la fatigue car je n'ai pas l'habitude de me lever si tôt le matin.

 

J'écoute Monsieur S. Qui fait des dictées à ses élèves puis qui me pose quelques questions:

 

-"Tu n'as jamais lu ?"

 

-"Non, Monsieur"

 

-"Mais quel âge as-tu ?"

 

-"12 ans et demi, Monsieur"

 

A la récréation, je fais encore des connaissances puis on me mène au goûter où je suis félicité car je mange proprement…

 

II y a quatre dortoirs : celui de la maternelle, celui pour les petits, celui des filles et celui des apprentis. Je serai chez les petits où il y a deux couchers un à 20 h |pour les plus jeunes et ceux qui ne savent pas se débrouiller et un à 20 h 20. Le premier soir, je monte à 20 h 20, mais le deuxième soir on me fait monter à celui de 20 h car je ne suis pas assez autonome : je suis très long pour me laver, on me menace même de me mettre à la maternelle pour que j'apprenne à être plus indépendant ... Mais, je n'y ai jamais été ... Le lendemain, je fait la connaissance d'un garçon qui vient d'arriver aussi, il est beaucoup plus grand que moi mais plus jeune. Il venait de perdre la vue. Il s'appelle Daniel F. Il a appris le braille très vite. Un autre garçon est venu me chercher pour me laver les mains, nous avons discuté, il s'appelait Jean-Pierre F. Nous serons bien ensemble pendant toute l'année, mais nous nous disputerons souvent. Il est jaloux et têtu, il me raconte ses débuts et les difficultés qu'il a rencontrées.

 

Le samedi, Jean-Pierre sort. Je me fais d'autres amis avec qui je m'entends bien : Bernard T. Qui est un ami de Jean-Pierre. Le dimanche matin, il m'a emmené à la messe, il m'a fait rire durant l'office. Le surveillant nous a menacés de nous punir ... Ensuite nous sommes allés en forêt.

 

L'après-midi, je me suis retrouvé tout seul. J'étais assis sur un banc de pierre, là, des larmes coulent de mes yeux ; un garçon, Jean F. s'est occupé un peu de moi, c'est la surveillante qui l'obligeait : "Jean, je t'ai dis de t'occuper de Jean-Marie, jusqu'à ce qu'il connaisse le chemin!" J'ai du mal à me diriger dans cette maison. Le lundi les choses sérieuses commencent. La

 

directrice me place en onzième, chez Monsieur C. Dans la même classe que Bernard et Jean-Pierre. Je n'arrive pas à apprendre le braille, les copains se ^moquent de moi. Je suis à côté de Daniel F. qui travaille très bien.

 

Nous avions classe le matin de 9 h à 12 h et l'après-midi de 13 h 30 à 18 h 30. Il y avait des activités manuelles, certains faisaient de la brosserie, d'autres du cannage, du rempaillage, du modelage. Je ne suis allé que deux fois dans ces classes : un jour, j'ai suivi involontairement le groupe de travail manuel, je me suis retrouvé assis dans un grand atelier, on m'a

 

demandé ce que je faisais là, puis quel âge j'avais : "Tu es grand pour ton âge ! ".

 

Finalement on m'a donné une place pour faire de la brosserie à côté d'Annick. Annick et moi, nous avons sympathisé et nous nous sommes parlé en cachette car on n'avait pas le droit de parler. Annick a été très gentille avec moi, elle me conduisait à l'infirmerie, nous parlions du travail puis d'autres choses. Beaucoup de copains ne l'aimaient pas, mais moi si.... Je ne suis cependant pas plus doué pour la brosserie que pour le braille...

 

Après le goûter, à 18 h on retournait chacun à ses affaires sauf le mercredi et le vendredi où nous avions des cours de chant.

 

Au bout de deux mois, je n'ai encore rien appris sur le braille ; je mélange toutes les lettres.

 

Un jeudi après midi le curé de l’école me fait appeler, il m’inscrit au catéchisme en troisième année.
Tombé malade à la suite d’une dent qu’on m’a arrachée je suis resté 15 jours à l'infirmerie… A mon retour mon instituteur était malade. C’est M. S qui faisait la clase en même temps que la sienne. C’est lui qui m'a fait démarré. Il m'a dit : "Tu dis n’importe quoi, tu ferais mieux de faire attention à la forme des lettres, et il avait raison , M. S

 

Je venais de sortir de l’infirmerie mais j'étais encore trop faible et le docteur avait recommandé beaucoup de repos. Le soir, une punition générale avait été donnée, à genoux au pied de son lit : il fallait se tenir droit sinon c’était une gifle. Madame Y m’a dit : « Couche-toi Anselin. » Je me suis couché. J’étais à peine dans mon lit que la surveillante m’a fait relever. Mademoiselle Y l’a entendue et lui a dit que c’était elle qui m’avait dit de me coucher : -"Vous donnez des ordres maintenant ?

 

-"Jean-Marie vient d'être malade et le docteur recommande beaucoup de repos.

 

-Vous auriez-pu me prévenir !" et la surveillante m'a fait me recoucher.

 

Nous avions des cours de solfège et de piano que j'aurais bien voulu faire mais je ne savais pas lire ... Jean-Pierre voulait me présenter au professeur de musique mais je n'ai jamais voulu.

 

| Si j'avais du mal à apprendre le braille, à me guider, je savais bien les tables de multiplication : quand l'instituteur m'a demandé de lui réciter une table, je n'ai pas hésité car une de mes soeurs m'apprenait quand j'étais petit : elle me les faisait réciter. Je n'avais jamais lu mais je savais compter.

 

Je suis plus souvent à l'infirmerie, j'ai des maux de tête : l'Institut m'envoie en maison de repos à C. Là tout est différent, il n'y a pas d'handicapés. Ce sont tous des voyants : je suis un peu mal à l'aise car ils ne m'associent pas à leurs jeux. Je me retrouve un peu seul ou alors je joue avec un petit. On s'occupait beaucoup de moi, on me guidait même. La surveillante Mademoiselle P. était obligée de les menacer de punition pour qu'ils me laissent me diriger seul car elle craignait que je ne sache plus le faire quand je retournerai l'école et elle avait raison.

 

Ma maison de repos était beaucoup plus gaie que l'école. Le matin on se levait, on mangeait bien 4 tartines de gros pain : il fallait tout manger. On avait classe mais comme je ne pouvais pas écrire et lire comme les autres alors je faisais du modelage ou je jouais avec des jeux de patience. Le repas était à midi, après il y avait une heure de sieste et si nous faisions du bruit nous restions une demi-heure de plus ou alors on épluchait des haricots ou écossions des petits pois. Chacun chantait sa chanson.

 

Le soir, nous n'avions pas d'heure pour nous coucher car il y avait la télévision. Nous faisions de grandes promenades travers la forêt le jeudi et le dimanche parfois, le soir quand il faisait très chaud, on chantait pendant la marche et nous faisions des jeux. J'y suis resté cinq mois. J'avais grossi de plusieurs kilos. Le jour ou j'ai quitté la maison de repos tout le monde : les chefs, les amis, même le personnel sont venus me dire au revoir ...

 

Je suis monté en voiture, j'avais envie de pleurer, je ne suis jamais retourné à C. Je suis retourné à B. Partout c'était la même chose :"Que tu as grossi ! Voilà un beau jeune homme !"

 

Septembre 1964, j'ai repris le chemin de l'école. J'ai retrouvé Bernard .... Cette fois, je veux apprendre à lire et écrire. Je retourne au catéchisme.

 

Bernard est en 3ème année, comme moi, il m'aide même pour la lecture, j'apprends mieux. Nous nous querellons quelquefois mais cela ne dure pas. Une fois, nous nous sommes disputés à propos d'Annick.

 

Comme nous étions toujours ensemble, nous faisions des jaloux. Il avait six mois de plus que moi, le Curé ne voulait pas nous faire faire notre communion en 1965, alors nous ne voulions plus aller au catéchisme. Finalement le Curé a cédé, mais il nous donnait du travail supplémentaire. Le jeudi après-midi nous travaillions dans la chapelle.

 

Nous avons fait notre communion le 22 mai 1965 : Ce jour là il faisait beau, les parents ont assisté au repas.

 

En rentrant en septembre 1964, cette année là j'ai été moins malade, mais j'ai reperdu tous mes kilo : en décembre je n'étais déjà plus ce "beau jeune homme" que l'on chantait.

 

A la fin de l'année scolaire je savais presque lire. Bernard et moi nous faisons des projets pour la rentrée de septembre 1966. Le 30 juin, c'est la distribution des prix, il y a un spectacle. Ce sont les grandes vacances, Tous les parents sont là : ils viennent chercher leurs enfants. Bernard et moi nous nous serrons la main en nous disant : "A septembre prochain."

 

Hélas, je ne suis jamais retourné à l'école et je n’ai jamais revu Bernard ni les autres amis. Aujourd'hui on se demande encore pourquoi l'on m'a renvoyé.

 

 

 

Sylvette ASSIE

 

(Témoignage paru dans le Bulletin de l’Anpsa n° 18

 de septembre 1984)

 

Je ne sais pas bien vous dire tout ce qui s’est passé autrefois, alors j’espère que ce témoignage vous raconte presque toute ma vie.

 

Une sourde de naissance qui est devenue aveugle tardivement, sans maladie, vit en ce moment dans le foyer d’adultes sourdes-aveugles à Larnay-Biard 86000 Poitiers.

 

Je m’appelle Sylvette Assié et je suis âgée de 48 ans. Je suis née le 28 mars 1936 dans un petit village un peu isolé, en pleine campagne, à 28 km d’Albi Mes parents étaient cultivateurs. Je suis la benjamine d'une famille de quatre enfants... Je suis la .seule sourde-aveugle de ma famille. Je voyais bien durant toute mon enfance et ma jeunesse. Je ne me souviens pas de tout ce qui s'est

 

passé durant mon enfance chez mes parents, quand j'étais toute petite fille.

 

Mes parents ne savaient pas dans quelle école ils allaient me mettre, mais grâce au médecin de famille, je fus envoyée dans une école spéciale d'Albi, dirigée par les soeurs du Bon Sauveur.

 

En octobre 1940, je suis entrée dans cette école de filles sourdes. Au début de ma scolarité, la maîtresse m'a appris à parler en m'articulant des paroles, à lire sur les lèvres et à écrire sur le tableau. J'ai bien suivi les études comme les autres voyantes, mais la maîtresse s'est aperçue que je n'ai pas compris sur ses lèvres ; elle m'a conduite chez l'oculiste ; je ne sais pas bien ce qu'il disait sur mes yeux ; il m'a ordonné des lunettes pour lire et écrire...

 

Quand j'ai passé mes vacances scolaires chez mes parents, lorsque j'étais grande, surtout pendant l'été, j'ai eu le plaisir de garder parfois les troupeaux de vaches ou de cochons ; mais le chien ne venait jamais avec moi car il ne comprenait pas ma voix ; quand une bête s'est égarée, comme elle est désobéissante, j'étais obligée de courir pour ramener cette bête avec le bâton dans mon pré. C'était moins dur pour les vaches, que pour les cochons car ceux-ci sont plus têtus.

 

Aussi pendant mes vacances, j'ai aidé aux travaux dans les champs ; j'ai arraché des mauvaises herbes, ramassé des feuilles de choux, rangé des gerbes de blé en forme de croix, ramassé du maïs,etc.

 

Pendant des promenades à pied ou en car, à travers la nature, je voyais bien de jolis paysages en couleur ainsi que le firmament. En juin 1951 et 1952 j'ai obtenu le certificat d'études dirigé par la Persagotière de Nantes, mais en juin 1953 j'ai échoué au C.E.P. en ville car j'ai eu des fautes d'orthographe, car j'ai commencé à ne pas comprendre sur les lèvres.

 

Après ces études je continuais au cours ménager à apprendre la coupe, la couture et le dessin.

 

On s'est aperçu que j'étais habile aux travaux manuels et j'ai souvent tricoté.

 

En juin 1956 j'ai obtenu le C.A.P. couture flou. Durant les derniers temps de ma scolarité je n'ai pas pu prolonger des lectures des livres ; je lisais seulement en gros caractères des nouvelles dans les journaux.

 

Après ma scolarité, je suis venue vivre dans une maison avec des adultes sourdes dans le même établissement que mon école...

 

Quelques années plus tard, les soeurs se sont aperçues que je voyais de moins en moins ; elles m'ont fait arrêter ces raccommodages et j'ai fait des tricots dans la journée. Je suis allée de nouveau chez l'oculiste, Celui-ci s'est aperçu que ma vue baissait peu à peu ; il n'y a rien à faire pour me soigner. Les soeurs ont pensé qu'il serait bien mieux que j'apprenne le Braille.

 

L'apprentissage du Braille me rend bien service...

 

En 1971 j'ai perdu mon papa par une maladie de coeur après de très nombreuses années de travaux très pénibles dans les champs. Mon papa s'est bien usé après avoir fait un tas de travaux à la campagne. Ma famille a décidé de m'envoyer à Larnay pour l'apprentissage du Braille.

 

En mai 1975, c'était une soeur assistante sociale de mon établissement qui m'a conduit à Larnay on j'ai fait le stage de deux ans. Durant les premiers jours j'ai appris à lire par le doigt les dix premières lettres en Braille en gros points sur une planche de bois, après les avoir lues par

 

coeur, ensuite sur les dix secondes et les dix dernières lettres ; puis je lisais le Braille fin sur des petits livres de lecture ; en même temps j'ai appris l'écriture sur la tablette avec le poinçon. J'ai bien réussi à apprendre tout le Braille presque moi-même ; mais quand j'avais des difficultés pour quelque mot ou lettre, j'appelais l'une des aveugles à mon secours ; ces aveugles sont en train de tricoter dans cette salle où j'ai appris le Braille. Dans cette salle j'ai bavardé avec Eugénie et Yvonne par le langage gestuel et manuel.

 

Trois ans après, j'ai commencé à étudier la méthode d'abrégé et j'ai aussi écrit l'abrégé sur la tablette mais il n'y aura pas encore une machine Braille pour moi ; j'ai bien réussi moi-même à apprendre l'abrégé car je l'ai étudié bien tranquillement dans ma chambre à la fin des après-midi ; j'ai lu peu à peu des lectures de livres en Braille.

 

Durant cette période, chaque matin, j'ai appris à taper à la machine en noir pendant une heure.

 

Au début d'août 1973 frère Thomas est venu à Larnay voir ses amies sourdes-aveugles et nous avons fait connaissance. En début d'octobre 1973 j'étais surprise de voir venir François ; par cette occasion, j'étais contente de faire sa connaissance ; j'ai bien souffert car je n’ai pas compris comment se passe la vie des sourds-aveugles et par des discussions j’ai réussi à mieux comprendre. J'ai commencé à correspondre avec eux.

 

Au début d'avril I974, je suis allée à Lourdes pour le pèlerinage des aveugle…

 

Quand mon stage s'est terminé, je suis repartie chez maman ; j'ai eu des problèmes pour aller dans un autre foyer proche de ma famille ... J'ai eu bien du chagrin et je me suis décidée à retourner à Larnay où je continue a vivre au milieu des adultes. Là, je fais toujours des tricotages variés ; je fais des lectures et du courrier d'amitié. Je possède deux machines à écrire ; Le Braille et en noir.

 

Il y a environ 5 ans, j'ai commencé à ne pas voir les choses distinctement et des couleurs au loin, au dehors ; je ne vois que du blanc et je vois un peu au dedans.

 

Pour les sorties, promenades à pied ou en ville et en excursion je suis toujours accompagnée par un adulte.

 

Je vais en vacances l'été chez maman dans mon pays natal 5 c'est mon frère qui vient me chercher et me ramener à la gare de Poitiers par le train. Alors je m'habitue bien à cette vie.

 

Pendant ces vacances j'ai l'occasion de |voir mes amis sourds à Albi et certains viennent chez maman, je peux bavarder avec eux par le langage gestuel et manuel. Depuis longtemps je fais partie de l'amicale des sourds albigeois.

 

Depuis la création de l'A.N.P.S.A. je fais partie de cette association, je suis membre du conseil d'administration. Chaque année je participe à la session rencontre entre les sourds-aveugles de France ; cela m'intéresse bien, c'est un endroit tranquille où nous pouvons communiquer, bavarder et discuter.

 

Durant les vacances, avec maman je peux communiquer en gestes et voix, mais elle m'écrit dans mes mains ainsi que les proches de ma famille.

 

Chez maman, je garde l'habitude du passé pour me diriger où je veux, dans d'autres pièces, dans d'autres endroits intérieurs, dans le jardin ou au dehors de la maison n'importe où...

 

A présent je n'entends rien et je ne vois presque pas, mais grâce aux trois sens très développés comme l'odorat, je reconnais bien les choses qui sont près de moi, des personnes, des bêtes, des plantes et des fleurs de la nature. Pour le goût, je reconnais vite ce que je mange et parfois je déteste les aliments trop sucrés ou trop salés. Pour le toucher, je reconnais aussi bien quand je palpe les fleurs, les légumes, des meubles et des statues surtout pendant des visites au musée.

 

Presque chaque soir une adulte qui me sert de guide me traduit par ses doigts quelques textes des nouvelles qu'elle lit dans les journaux et les revues ; elle peut aussi me traduire en Braille les explications des tricots, des napperons variés etc.

 

Chers lecteurs amis de l'A.N.P.S.A, durant les sessions quand vous me voyez triste ou trop silencieuse, vous pouvez bavarder en écrivant dans mes mains ou d'autres façons car je connais bien tous les moyens de communication.

 

Quand vous me voyez aussi encore immobile, vous pourrez me prendre pour danser les jours de fête comme la veille de notre séparation.

 

Chers lecteurs du bulletin, j'espère que ce témoignage vous intéressera bien ; voulez-vous bien m'excuser de mon trop long bavardage. Bon courage, bonne lecture.

 

 

LA RÉEDUCATION

 

(par Suzanne Mazé. Paru dans le Bulletin

 de l'Anpsa N° 42 septembre 1990)

 

Quand la tempête a ravagé un jardin, que fait le propriétaire ? Une fois le calme revenu, il parcourt les allées, constate les dégâts, estime les pertes, croit un moment que cette portion de terre couverte de branchages et de gravats est à jamais sacrifiée.

 

Puis il se fraie un chemin pour aller plus avant, écarte résolument ce qui est irréparable, relève les végétaux susceptibles de revivre, dégage les endroits qui, après nettoyage, pourront redevenir productifs.

 

Ce jardin saccagé, c'est l'image de l'état d'une personne qui, à l'âge adulte, perd brusquement l'ouie et la vue. Que faire quand on n'entend plus les voix, qu'on ne peut plus lire un journal, ni se conduire seul, ni assurer le travail qui assurait la subsistance ? Que faire, sinon commencer une vie nouvelle avec d'autres moyens ? Les connaissances acquises n'ont rien perdu de leur valeur ; il faut les brancher, si l'on peut dire, sur des structures adéquates. Cet acquis, il importe avant tout de ne pas le laisser s'amoindrir. Le sourd qui ne perçoit plus la parole doit veiller à garder une bonne articulation. L'aveugle qui n'a plus d'autres ressources, pour la lecture, que les points saillants du système braille, a grand intérêt à ne pas oublier la forme des caractères ordinaires. Cette vie nouvelle à bâtir, c'est le travail de la rééducation.

 

Pour l'entreprendre, il faut d'abord la vouloir et la croire efficace. C'est ce premier pas qui s'avère la plus difficile. Car la personne handicapée qui, parfois, habite loin des établissements spécialisés ignore même qu'elle pourrait s'y adresser, tâtonne, se trompe, tend à se décourager. De plus, elle n'est pas toujours soutenue par son entourage. La rééducation est à double face. Si elle permet à la personne sourde-aveugle de découvrir par elle-même les moyens d'action qui lui sont le mieux adaptés, elle risque aussi de s'orienter mal et, pour vouloir aller trop vite et aller trop loin vers la conquête de l'indépendance, d'entraîner de fâcheuses conséquences. Ainsi, apprendre le braille c'est bien ; s'y mettre sans professeur et sans méthode peut faire perdre à ce moyen une partie de son efficacité. Certains lecteurs de braille restent lents par la faute de mauvais commencements. L'apprentissage de la locomotion autonome entreprise sans conseils aboutit parfois à un échec. Il ne suffit pas de posséder une canne blanche, il faut aussi savoir l'utiliser pour en tirer l'aide maximale.

 

Un point capital pour celui qui veut recommencer à vivre après la perte des deux sens essentiels, c'est la volonté de se détacher catégoriquement des vieilles habitudes. A quoi bon, en effet, se tendre pour essayer de capter, avec un reliquat auditif insignifiant, des sons qui ne sont plus perceptibles, encore distinguer des objets que la vue ne permet plus d'identifier ? Un troisième sens subsiste, le toucher. C'est à celui-là qu'il faut se raccrocher et qu'il faut s'appliquer à développer pour retrouver la communication avec l'extérieur. Ce séné n'est malheureusement pas affiné chez tous les sujets ? surtout quand ceux-ci approchent de la vieillesse.

 

Néanmoins, il peut toujours être utilisé avec fruit lorsque l'attention et la patience s'y ajoutent. Un obstacle à surmonter, c'est la fausse honte qui considère comme une déchéance de lire ou de parler avec les doigts. Le but à atteindre doit primer les remous de la sensibilité. Acquérir les moyens de communiquer avec ses proches constitue la première phase de la rééducation pour un sourd-aveugle. Mais il est bien d'autres domaines que celui-ci peut inventorier pour s'affranchir de la trop grande dépendance. Apporter son aide dans 1'accomplissement des soins domestiques, s'initier au maniement des appareils électro-ménagers (tout en respectant strictement les règles de prudence) sont des choses souvent bien minimes mais dont il est bon de ne pas se détourner.

 

La recherche scientifique a créé beaucoup d'appareils d'aide technique pour les handicapés. Il est du devoir des sourds-aveugles suffisamment instruits de s'y intéresser. Certains, avec l'emploi du D.T.S. 86, par exemple, ont pu reprendre une activité professionnelle qui, auparavant, leur paraissait interdite.

 

Chercher à s'occuper utilement témoigne d'une bonne intention. Tendre à se dépasser pour avancer toujours plus loin sur le chemin qui mène à la liberté représente un stimulant qu'il ne faut en aucune manière abandonner. En fait. la rééducation n'est jamais terminée. Elle conduit la personne handicapée à une renaissance qui s'épanouit peu à peu dans la joie de rentrer en possession complète de sa personnalité.

 

(Suzanne Mazé est administrateur du collège 1 "Sourds-Aveugles adultes et représentants légaux")